L’Albanie vient de franchir une étape inédite dans l’usage de l’intelligence artificielle en politique. Début septembre, le Premier ministre Edi Rama a présenté Diella, une ministre virtuelle créée par IA et désormais officiellement chargée des marchés publics. Une première mondiale qui soulève autant d’espoirs que de controverses.
Conçue pour superviser toutes les procédures d’appels d’offres, Diella est censée incarner la transparence totale. « Chaque denier public sera parfaitement traçable et la corruption éliminée à 100 % », a assuré M. Rama. Dans un pays classé 80ᵉ sur 180 par Transparency International en matière de corruption, la promesse est ambitieuse.
Fraichement nommée, Diella s’est exprimée par vidéo devant le Parlement, affirmant « incarner les valeurs de responsabilité et de transparence avec autant de rigueur que n’importe quel collègue humain ». L’IA se veut ainsi le symbole d’une nouvelle gouvernance numérique, capable de neutraliser les biais et les réseaux clientélistes qui gangrènent la sphère publique.
Mais l’initiative interroge. Qui programme Diella ? Qui vérifie ses décisions ? Quelle marge d’autonomie détient-elle face aux orientations politiques ? Pour ses détracteurs, comme l’opposition de Sali Berisha, le projet relève du gadget et contrevient même à la Constitution. L’opposition a annoncé saisir la Cour constitutionnelle pour dénoncer une « ministre anticonstitutionnelle ».
Au-delà du tumulte politique, cette nomination ouvre un débat plus large : l’IA peut-elle réellement remplacer une fonction politique sensible comme la gestion des marchés publics ? Et si oui, à quelles conditions de contrôle, de supervision et d’éthique ?
En attendant des réponses, le gouvernement Rama poursuit son pari numérique. Le programme ministériel a été adopté par 82 voix, malgré le boycott de l’opposition. Reste à voir si Diella sera l’outil qui réconciliera les Albanais avec leurs institutions, ou une expérience éphémère révélatrice des limites de l’intelligence artificielle en politique.
LN
